Remarks


1. 

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Français Cette lettre est inédite. Mais son existence était déjà connue, et Th. Besterman lui accorda un chiffre, April 1729 (D355) sans en connaître le texte. Hannah More (1745-1833) avait fait partie dans sa jeunesse d’un cercle littéraire qui comptait parmi ses membres Samuel Johnson et David Garrick. Dans une lettre de 1785 elle explique à sa sœur, qui se constituait une collection d’autographes, qu’elle lui a trouvé deux autographes de Voltaire: « Thursday morning [1785]. Lord Bathurst has given me, for your book, two original letters of Voltaire’s in English, one written to him when he was chancellor, and the other to his father above fifty years ago, to thank him for the civilities he received at his house when in England. My lord is very obliging, and has taken an infinite deal of pains to rummage out these letters from among his vast mass of papers. I have been there twice this week [. . .] . »4 Cette collection d’autographes fut dispersée lors d’une série de ventes chez Sotheby’s à Londres en 1993. L’autre lettre à laquelle il est fait allusion ici fut adressée à Henry Bathurst (deuxième Earl Bathurst à partir de 1775), qui fut « Lord Chancellor » de 1771 à 1778; cette lettre, à laquelle Besterman donne le numéro D19535, reste pour l’instant inconnue.

La lettre reproduite ici, 18 October 1729 (D355-N), nous est fort utile d’abord par ce qu’elle nous apprend de la biographie de Voltaire, car nous connaissons mal ses activités immédiatement après son retour en France. Voltaire avait annoncé son arrivée dans la capitale à René Hérault, lieutenant général de la police, 19 April 1729 (D358-N).

Par ailleurs, cette lettre témoigne du fait que Voltaire conserve la maîtrise de la langue anglaise, même après son retour en France. Sarah, duchesse douairière de Marlborough, écrivit à son secrétaire Humphrey Fish après avoir rencontré Voltaire: ‘Here is a Frenchman that I believe is about three-score, who has learned in a year’s time to read all the English authors & both to write & speak English: his name is Voltaire’.5 Même si elle s’imaginait que Voltaire était beaucoup plus âgé qu’il ne l’était en réalité, ce commentaire sur les capacités de communication de l’écrivain en anglais garde toute sa pertinence.

Enfin, cette lettre est surtout précieuse car elle nous renseigne sur les réseaux sociaux et littéraires que Voltaire avait réussi à tisser pendant son séjour en Angleterre. Le destinataire de cette lettre, Allen Bathurst (1684-1775), est un personnage éminent dans la vie politique et littéraire anglaises de l’époque.6 Membre de la Chambre des Communes, il devint Baron Bathurst en 1712 (et premier Earl Bathurst en 1772). Adhérent au parti tory, il était un adversaire implacable du gouvernement de Sir Robert Walpole. Condamné de ce fait à rester dans l’opposition, Bathurst, homme intelligent et généreux, bon vivant qui aimait la société, s’adonna pleinement à sa passion pour la littérature. Nous connaissons sa correspondance avec Pope, qui lui dédia le troisième de ses Moral Essays, « On the use of riches ». Il était en relation avec de nombreux autres auteurs, dont Congreve, Prior, Swift et (plus tard) Sterne. Il s’intéressait tout particulièrement aux jardins: ceux qu’il créa à Richings (qu’il vendit à Lord Hertford en 1739) et à Cirencester Park devinrent célèbres. Certains auteurs logeaient chez lui, parfois pendant des mois entiers; par exemple, la traduction d’Homère faite par Pope, et mentionnée dans les Lettres philosophiques, fut préparée en grande partie chez Bathurst.

Bathurst est le type même du seigneur « qui cultive les lettres » que loue Voltaire dans les Lettres philosophiques. Nous savions déjà que Voltaire était en relations avec Lord Bathurst: son nom figure dans la liste des souscripteurs pour l’édition in-quarto de La Henriade, à côté du nom de deux de ses fils, Benjamin et Peter; et le fait même d’être annoncé comme acheteur de dix exemplaires suffit pour confirmer son statut de mécène. Quelques années plus tard, Bathurst sera aussi un des seigneurs, avec Bolingbroke, à qui Thiriot montrera le manuscrit des Lettres philosophiques peu avant leur publication, 24 February 1733 (D570). C’est à peu près tout ce que nous savions jusqu’ici à propos des relations entre Voltaire et Bathurst, malgré les recherches importantes d’André Michel Rousseau;7 mais on devinait que ces relations avaient compté, ce qui vient d’être confirmé par notre lettre.

Nous savons que Voltaire s’est vite implanté dans les milieux littéraires anglais, et Bathurst était un mécène littéraire des plus importants. Dans une lettre qui semble dater de 1727, par exemple, Bathurst écrit à Pope pour l’inviter à venir le rejoindre à « Riskins » le dimanche suivant; il lui explique que Bolingbroke sera présent, et il propose que Pope vienne avec John Gay.8 Déjà dans cette simple lettre on devine l’importance de Richings comme foyer de la vie littéraire et culturelle de l’époque. Lorsque Voltaire remercie Bathurst de ses « faveurs » et de la « liberté de sa maison », on ne peut qu’imaginer les rencontres qu’il a pu y faire.

Comme toujours dans les lettres de Voltaire qui concernent le séjour en Angleterre, on est intéressé par ce qu’il dit, mais aussi par ce qu’il ne dit pas. Bathurst était très réputé en tant qu’architecte paysagiste; encore aujourd’hui, il reste connu aujourd’hui pour le parc de Cirencester, pour lequel Pope a joué un rôle important de conseiller. « Who plants like Bathurst? » demande Pope dans une de ses épîtres (Moral Essays, IV). Les jardins de Richings, moins connus de nos jours car ils n’existent plus, jouissaient eux aussi d’une grande réputation. Swift, Pope, Gay, Arbuthnot, Bolingbroke, Prior et Parnell se rendaient tous fréquemment à Richings; ils y composèrent des vers, et notamment des inscriptions pour les jardins, et leurs idées et leurs suggestions ont contribué à l’embellissement des jardins. Dans une lettre de 1725, Pope décrit les jardins de Richings comme une « extravagante bergerie » (il emploie les mots français dans son texte anglais);9 Lady Hertford, qui habita Richings après 1739, soit une dizaine d’années après les visites de Voltaire, décrit ses jardins comme étant « nearer to my idea of a scene in Arcadia than any place I ever saw . . . . The house is old and convenient . . . . [There were] a cave overhung with periwinkles . . . little arbours interwoven with lilacs . . . high beech tree walks . . . ».10 Cet intérêt pour le façonnement de la nature est un aspect fondamental et dynamique de la culture anglaise hanovrienne; comme l’écrit James Lees-Milne, « The country house domain of the English Palladian age was as much a literary as an architectural and horticultural composition ».11

Voltaire, bien qu’évoluant dans ce monde, n’y fait jamais allusion. Il semble complètement insensible aux parcs anglais, à cette nouvelle mode de cultiver la nature qui était en train de devenir le genre d’art le plus caractéristique de l’Angleterre du dix-huitième siècle anglais, et il n’en parle ni ici ni ailleurs. Mais bien des années plus tard, devenu lui-même châtelain, Voltaire s’amusera à expliquer à ses invités britanniques que les jardins de Ferney étaient conçus d’après le goût anglais . . . 2 October 1763 (D11442). Et que faisait Voltaire, pendant que ses confrères anglais erraient dans le parc en composant des vers? Il semble qu’il lisait dans la bibliothèque . . . . Nous ne savons pas, hélas, le caractère précis de cette bibliothèque de Richings, mais étant donné les goûts littéraires très marqués de Bathurst, on peut imaginer qu’elle était importante. L’expression « the many liberties I enjoyed in that charming library at Rischkings » laisse rêveur, et porte à croire que Voltaire était fréquemment reçu à Richings durant sa période anglaise. Voltaire n’avait plus sa propre bibliothèque à portée de main, et on devine qu’il a profité des invitations chez les uns et les autres pour lire et étudier dans celles que l’on mettait à sa disposition. La plus célèbre du genre appartenait à Edward Harley, deuxième Earl of Oxford (1689-1741), et elle était ouverte aux savants; Harley comptait parmi ses intimes les poètes Swift, Pope and Prior, tous des auteurs que Voltaire aurait pu rencontrer chez Bathurst.12 Mais Harley n’était plus en bons termes avec Bolingbroke, et les relations entre ces milieux parallèles étaient délicates. Lorsqu’au début de 1728, Voltaire s’adresse à Harley pour lui demander l’honneur d’être reçu, 1 January 1728 (D325), on se demande s’il ne sollicitait pas surtout l’honneur d’être reçu dans sa bibliothèque si célèbre . . . En 1769, installé à Ferney, et désormais entouré de ses propres livres, Voltaire écrit à Morellet: « Le commerce des pensées est devenu prodigieux. Il n’y a point de bonne maison dans Paris et dans les pays étrangers, point de château qui n’ait sa bibliothèque », 14 July 1769 (D15747). Peut-être garde-t-il encore, quarante ans plus tard, le souvenir de la bibliothèque de Richings.

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English This letter is unpublished. But its existence was known, and T. Besterman gave it a date and number, April 1729 (D355), without knowing the text. In her youth, Hannah More (1745-1833) had been part of a literary circle that included Samuel Johnson and David Garrick among its members. In a 1785 letter she explains to her sister that, in a collection of autographs, she found two autographs of Voltaire: "Thursday morning [1785]. Lord Bathurst has given me, for your book, two original letters of Voltaire’s in English, one written to him when he was chancellor, and the other to his father above fifty years ago, to thank him for the civilities he received at his house when in England. My lord is very obliging, and has taken an infinite deal of pains to rummage out these letters from among his vast mass of papers. I have been there twice this week [. . .] ."4 This collection of autographs was dispersed in a series of sales at Sotheby's in London in 1993. The other letter, to which reference is made here, was addressed to Henry Bathurst (second Earl Bathurst from 1775), who was "Lord Chancellor" from 1771 to 1778; this letter, which Besterman numbered D19535, currently remains unknown.

The letter reproduced here, 18 October 1729 (D355-N), is very useful for what it tells us of Voltaire's biography at this time, since we know little about his activities immediately after his return to France. Voltaire had announced his arrival in the capital to René Hérault, Lieutenant General of Police, 19 April 1729 (D358-N).

In addition, this letter reflects the fact that Voltaire retained his mastery of the English language, even after his return to France. Sarah, Dowager Duchess of Marlborough, wrote to his secretary Humphrey Fish after meeting with Voltaire: "Here is a Frenchman that I believe is about three-score, who has learned in a year’s time to read all the English authors & both to write & speak English: his name is Voltaire".5 Even if she imagined that Voltaire was much older than he actually was, this observation on the writer's ability to communicate in English is still relevant.

Finally, this letter is especially valuable because it tells us about social and literary networks that Voltaire had managed to build during his stay in England. The recipient of this letter, Allen Bathurst (1684-1775), was a prominent figure in English political and literary life at the time.6 Member of the House of Commons, he became Baron Bathurst in 1712 (and first Earl Bathurst in 1772). Follower of the Tory party, he was an implacable opponent of the government of Sir Robert Walpole. Thus condemned to remain in opposition, Bathurst, an intelligent and generous man, a bon vivant who loved society, devoted himself fully to his passion for literature. We know of his correspondence with Pope, to whom Pope dedicated the third of his Moral Essays, "On the use of riches". He was in contact with many other authors as well, including Congreve, Prior, Swift, and (later) Sterne. Bathurst was particularly interested in gardens: those he created at Richings (which he sold to Lord Hertford in 1739) and Cirencester Park became famous. Writers often lived at his house, sometimes for months; for example, Pope's translation of Homer, mentioned in the Lettres philosophiques, was prepared largely at Bathurst's.

Bathurst is the very type of nobleman "who cultivates the letters" that Voltaire praised in Lettres philosophiques. We already knew that Voltaire had been in contact with Lord Bathurst: his name appears in the list of subscribers for the quarto edition of La Henriade, next to the name of two of his sons, Benjamin, Peter; and the very fact that he is recorded as purchasing ten copies, confirms his status as patron. A few years later, Bathurst will also be one of the lords, along with Bolingbroke, to whom Thiriot shows the manuscript of the Lettres philosophiques, shortly before publication, 24 February 1733 (D570). That's about all we know so far about the relationship between Voltaire and Bathurst, despite the important research of André Michel Rousseau;7 but one sensed that these relationships had mattered, which has been confirmed by our letter.

We know that Voltaire was soon established in English literary circles, and Bathurst was one of the most important literary patrons. In a letter which seems to date from 1727, for example, Bathurst wrote to Pope, inviting him to join him in "Riskin" the following Sunday; he said that Bolingbroke will be present, and proposed that Pope should come along with John Gay.8 Already in this simple letter we discern the importance of Richings as home to the literary and cultural life of the time. When Voltaire thanks Bathurst for his "favors" and the "freedom of his house," one can only imagine the encounters he had had.

As always in the letters of Voltaire concerning his stay in England, we are interested in what he says, but also in what he does not say. Bathurst was renowned as a landscape architect; and still today he is known for Cirencester Park, for which Pope played an important role as adviser. "Who plants like Bathurst?" Pope asks in one of his epistles (Moral Essays, IV). The gardens of Richings, less known these days as they no longer exist, also enjoyed a great reputation. Swift, Pope, Gay, Arbuthnot, Bolingbroke, Prior and Parnell all went frequently to Richings; there they composed poems, including inscriptions on the gardens, and their thoughts and suggestions contributed to the embellishment of the gardens. In a letter of 1725, Pope described the gardens of Richings as "extravagant sheepfold" (he uses the French words in the English text);9 Lady Hertford, who lived at Richings from 1739, a decade after Voltaire's visits, described the gardens as "nearer to my idea of a scene in Arcadia than any place I ever saw . . . . The house is old and convenient . . . . [There were] a cave overhung with periwinkles . . . little arbours interwoven with lilacs . . . high beech tree walks . . . ".10 This interest in the fashioning or shaping of nature is a fundamental and dynamic aspect of English Hanoverian culture; as James Lees-Milne writes, "The country house domain of the English Palladian age was as much a literary as an architectural and horticultural composition".11

Voltaire, although moving in this world, never mentions it. He seems completely insensible to English parks, to this new method of cultivating nature which was en route to becoming the most characteristic English art form of the eighteenth century, and he does not mention it either here or elsewhere. But many years later, now himself lord of the manor, Voltaire is amused to explain to his British guests that the gardens at Ferney were designed according to the English taste . . . 2 October 1763 (D11442). What was Voltaire doing, while his English colleagues wandered in the park composing verses? It seems he was reading in the library . . . . Unfortunately, we do not know the precise character of that library at Richings, but given the very marked literary tastes of Bathurst, one can imagine that it was important. Voltaire's reference to "the many liberties I enjoyed in that charming library at Rischkings" is breathtaking, and suggests that Voltaire was often received at Richings during his English stay. Voltaire did not have his own library to hand, and one imagines that he took advantage of those particular invitations, among the many, to read and study in those placed at his disposal. The most famous of its kind was owned by Edward Harley, second Earl of Oxford (1689-1741), and it was open to scholars; Harley counted among his intimates the poets Swift, Pope and Prior, all authors that Voltaire would have met at Bathurst's.12 But Harley was not on good terms with Bolingbroke, and relations between these parallel worlds were difficult. When at the beginning of 1728, Voltaire addressed a request to Harley for the honor of being received, 1 January 1728 (D325), one wonders if, above all, he was not soliciting the honor to be received in the celebrated library . . . . In 1769, installed at Ferney, and now surrounded by his own books, Voltaire wrote to Morellet: "The trade of thoughts has become prodigious. There is no good house in Paris or in foreign lands, no castle that does not have its own library," 14 July 1769 (D15747). Perhaps, forty years later, he guards still the memory of the library at Richings.

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The digital correspondence of Voltaire
Nicholas Cronk, 2011–